Volonté et volonté

Le principe de la rationalité est de vous faire gagner, de vous aider à réaliser vos objectifs. Un des obstacles les plus fréquents à la réalisation de vos projets est l'akrasie, le manque de volonté qui nous empêche d'effectuer l'action que nous voulons faire.

Une minute ! Veut-on agir, ou pas ? Il existe deux concepts derrière le terme de "volonté", que je vais décrire en utilisant Système 1 et Système 2, les deux modes d'opération de la pensée, d'après le formalisme de Kahneman. C'est une simplification, pour plus de clarté.

Ce que j'appelle la volonté du Système 1 est celle qui vous fait lever le matin, qui vous fait sortir d'une bonne douche, celle qui vous fait démarrer quelque chose. C'est la ténacité, la confiance instantanée, le moment "vas-y, fais-le". C'est l'impulsion à court terme qui vous dit "je peux faire un pas de plus, et mon corps m'obéira". C'est l'élément que de nombreuses méthodes de productivité veulent stimuler. Par exemple, la règle des deux minutes ("si ça vous prendra moins de 2 minutes à faire, faites-le tout de suite") provient de l'intuition suivante : vous n'aurez pas besoin de beaucoup d'effort pour le faire, comme si vous faisiez un petit détour pour rendre service à un ami. Bien sûr que vous pouvez le faire. Pas besoin de préparation. C'est une idée qui plaît beaucoup à votre cerveau.

Ce que j'appelle la volonté du Système 2 est la justification de haut niveau, le raisonnement derrière les actes, le plan mûrement réfléchi, le désir de prendre de bonnes décisions, de faire bien les choses, de maintenir un contrôle sur l'akrasie afin de réaliser des objectifs à long terme. C'est le filtre qui perçoit les problèmes comme des obstacles que l'on surmonte et non comme des monstres que l'on fuit. C'est le bruit de fond qui vous dit "je veux aller à cet endroit, et je trouverai un chemin". C'est l'élément que de nombreuses méthodes de productivité veulent gérer. Par exemple, la méthode Getting Things Done démarre avec une liste de tâches, que vous pouvez parcourir de manière ordonnée, établissant des objectifs à court et long terme, en gardant le contrôle à tout moment. C'est, là encore, une idée qui plaît beaucoup à votre cerveau.

Toutefois, c'est la volonté du Système 1 qui vous fait directement agir, pas celle du Système 2. Le Système 1 est de plus bas niveau, ne se soucie pas de planification. Votre volonté a quelquefois de mauvaises idées. Vous voulez lancer des avions en papier, gribouiller sur une feuille, cliquer sur des titres accrocheurs, alors que vous aviez prévu de travailler, de vous entraîner, ou plus généralement d'être productif. Le Système 2 est censé garder un œil sur le système 1, et vous faire faire des actions contre-intuitives pour votre propre bien.

Les astuces pour stimuler votre volonté marchent, mais sont coûteuses. Elles absorbent une partie de votre attention, demandent un effort conscient pour maintenir votre concentration. Il est beaucoup plus simple de laisser la volonté du Système 1 faire tout le travail, le Système 2 restant à sa place : la pensée abstraite, pas la microgestion du Système 1. Cet état, c'est le flow, où la volonté du Système 1 reste élevée et s'auto-entretient tant que rien ne vient la perturber (et hélas, ça arrive facilement ; c'est un état fragile).

À l'inverse, décider d'ignorer complètement le Système 1 en vous forçant à faire des choses n'est ni sain ni productif. Si vous fermez les yeux sur la stimulation naturelle qui apparaît quand vous faites ce qui vous plaît, vous allez contraindre votre volonté à suivre un plan "optimal" quelconque de votre invention, en vous tuant à la tâche. Vous n'êtes pas une machine. Votre corps fait partie de vous, il n'est pas juste le truc qui contient votre pensée, ni un amas de cellules paresseux avec lequel il faut négocier.

Ma conception d'une lutte efficace contre l'akrasie n'est pas de titiller incessamment le Système 1, mais de créer un terrain favorable où les deux Systèmes seront en accord sur la marche à suivre ; où vous ne percevrez pas de signaux contradictoires tels que "je n'ai pas tellement envie de faire ça, est-ce bien nécessaire ?" en permanence. Le but est de faire de la productivité votre mode d'opération par défaut, de la rendre plus attirante que de ne rien faire. Comment y arriver sera traité dans de futurs articles.

Mes remerciements à regex, qui a initié la discussion dont cet article est issu. J'ai emprunté son "plus attirant que de ne rien faire". J'aime beaucoup cette formulation.

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