L'échelle est tombée

Avant, j'étais jeune et stupide. C'est une phrase que je répète régulièrement. Je repense à mes décisions passées, mes erreurs, mes succès. La conclusion est toujours la même : j'ai progressé. J'apprends plus de choses, je procrastine un peu moins, je maîtrise mieux mon temps et mes objectifs. Dans mon imaginaire, je grimpe constamment à l'échelle de l'Accomplissement personnel.

Bien sûr, je m'attends à ce que le schéma se reproduise : dans un an, je jugerai mon moi présent stupide et malavisé. Je suis au courant que j'ai encore de nombreux défauts à compenser, et de nouveaux domaines à explorer. Ce n'est pas ça qui me fait peur. Mon problème, c'est que l'échelle qui m'a amené où je suis est tombée.

J'oublie peu à peu le chemin que j'ai parcouru. Je ne sais plus dans quel ordre j'ai appris des choses. Quand je relis les livres, les blogs qui m'ont guidé, tout me paraît évident. Je ne peux plus redescendre, me remettre dans l'état d'esprit où j'étais à l'époque. Pire, j'oublie la difficulté du chemin. Je parle de mes connaissances, de mes expériences à des gens qui ont gravi d'autres montagnes. Qui ne sont pas passés par les mêmes chemins que moi.

Je parle beaucoup de mes recherches, à des groupes de gens différents. Ma famille, mes amis, mes collègues. J'adapte mon discours à chaque personne. Ce n'est pas une question de complexité, comme si je devais simplifier les idées pour aider les gens à comprendre. C'est une question de prérequis. En face d'un jury de mes pairs scientifiques, je peux balancer du jargon, "traits syntaxiques", "problème d'optimisation", "décodage de structures". J'utilise ces termes techniques, au sens précis, régulièrement. Mon jury aussi. J'ai besoin de ces termes pour présenter efficacement mes idées.

Si je dois présenter mon travail à quelqu'un d'autre, je dois déplier tous ces termes. Je peux les expliquer un par un, par d'autres termes, non plus simples, mais plus familiers. Parfois je dois réitérer le processus. Tout ceci prend du temps. Même si je développais tous les prérequis possibles, la longueur de l'explication nuirait à la compréhension finale. Dans la même veine, acquérir de nouveaux concepts dans un domaine inconnu prend du temps. Il n'y a pas de raccourci, l'autre doit grimper, et ce n'est pas parce qu'on a réussi que le chemin est devenu facile, ni rapide.

Il est très facile d'oublier cette distance avant d'avoir à présenter quelque chose, car forcément, tout est clair dans votre tête. Si c'est tellement limpide pour vous, ça devrait être facile à expliquer, pas vrai ? Eh bien non, pour comprendre exactement aussi bien que vous, il faudrait que les autres lisent en vous. Le même phénomène existe pour les émotions ! C'est l'illusion de transparence, que je développerai plus tard.

À partir de ces observations, on peut démarrer de nombreuses discussions sur la transmission des connaissances ; comment peut-on s'assurer que les gens ne sur-estiment pas la clarté de leurs explications ? Les notes manuscrites de quelqu'un sont-elles exploitables par quelqu'un d'autre ? Doit-on créer des guides de rédaction, des tutoriels bien formatés, des manuels rédigés avec précaution, pour s'assurer d'une bonne compréhension ?

Il me manque encore beaucoup d'expérience en communication pour pouvoir esquisser une réponse.

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